Perte du dossier médical d’un patient: c’est à l’établissement de santé de prouver l’absence de faute

Cour de cassation, chambre civile 1, du 26 septembre 2018 (N° de pourvoi: 17-20143)

A la suite d’un accouchement au sein d’une polyclinique par un gynécologue obstétricien exerçant son activité à titre libéral, une patiente a présenté une lésion du périnée entrainant des incontinences urinaire et anale consécutives à l’utilisation, pour extraire l’enfant qui présentait des troubles du rythme cardiaque, de spatules de Thierry.

Face aux lésions subies, la demanderesse a saisi la commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CCI) d’une demande indemnitaire.

L’expertise ordonnée par la CCI a mis en évidence la perte du dossier médical de la patiente et estimé que la réparation des préjudices incombait à la polyclinique et à son assureur.
L’assureur ayant refusé d’indemniser la patiente, l’ONIAM s’est substitué à lui et a procédé à l’indemnisation.

L’ONIAM, subrogé dans les droits de la patiente en application de l’article L.1142-15 du code de la santé publique (CSP), a assigné la polyclinique et son assureur en remboursement des sommes versées.
Rappel des principes de responsabilité médicale

L’article L.1142-1 du CSP indique que « hors le cas où leur responsabilité est encourue [de plein droit], les professionnels de santé ainsi que tout établissement de santé ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. »

Ainsi et conformément aux règles du code civil, pour obtenir réparation la victime doit rapporter la preuve d’un dommage, d’une faute imputable à un professionnel de santé ou à un établissement de santé et d’un lien de causalité entre les deux.

En matière de responsabilité médicale, une distinction s’opère entre le praticien salarié de l’établissement de santé et le praticien y exerçant à titre libéral. Le second engageant sa responsabilité civile en cas de faute quand le premier engage celle de l’établissement qui l’emploie sauf en cas d’abus de mission pour les salariés des établissements privés ou de faute détachable du service pour les médecins employés par l’hôpital.

Par ailleurs, les établissements de santé engagent leur responsabilité comme le rappelle la Cour de cassation dans cet arrêt, en cas de défaut d’organisation et de fonctionnement du service.
La cour régulatrice a considéré que la conservation du dossier médical incombe à l’établissement de santé dans le cadre de ses missions d’organisation et de fonctionnement du service et qu’à défaut, il engage sa responsabilité.

La Cour de cassation a estimé qu’en raison de la perte du dossier médical par l’établissement de santé, le patient a été placé dans l’impossibilité de prouver la faute du gynécologue obstétricien ayant causé l’incontinence ainsi que le lien de causalité avec le dommage subi.

Le dossier médical

Pour retenir la responsabilité de la polyclinique et de son assureur, la Cour de cassation se fonde sur la perte du dossier médical de la patiente par la polyclinique.

Les informations médicales du patient, aussi bien en cabinet médical libéral, qu’en clinique ou en hôpital, sont consignées et conservées dans un dossier, communément appelé le « dossier médical ».
Depuis la loi du 4 mars 2002, tout patient peut demander la communication de son dossier médical.
Des délais légaux s’imposent aux professionnels et aux établissements de santé débiteurs de ces informations. En effet, la remise des documents doit être effectuée dans les huit jours à compter de la réception de la demande lorsque la prise en charge du patient date de moins de cinq ans, et dans les deux mois lorsqu’elle est supérieure à cinq ans. L’accès auxdites informations sur place est gratuit, et en cas d’envoi du dossier, des frais de reproduction peuvent être facturés.

Ainsi, en cas de préjudices consécutifs à des actes de diagnostic ou de soins, le dossier médical constitue bien souvent le seul moyen à disposition de la victime pour prouver la faute commise dans sa prise en charge.

Renversement de la charge de la preuve

En l’occurrence, la polyclinique a été dans l’impossibilité de remettre son dossier médical à la patiente.

Dès lors, en raison de cette perte, la patiente se trouvait dans l’impossibilité de prouver une éventuelle faute intervenue lors de l’accouchement, laquelle pouvait notamment porter sur l’usage inopportun des spatules de Thierry quand une césarienne pouvait être envisagée à la place.

Ainsi, la Cour de cassation considère qu’ « une telle perte, qui caractérise un défaut d’organisation et de fonctionnement, place le patient ou ses ayants droit dans l’impossibilité d’accéder aux informations de santé concernant celui-ci et, le cas échéant, d’établir l’existence d’une faute dans sa prise en charge ; que, dès lors, elle conduit à inverser la charge de la preuve et à imposer à l’établissement de santé de démontrer que les soins prodigués ont été appropriés. »

Dès lors, ce n’est plus à la patiente de rapporter la preuve d’une faute mais à l’établissement de santé de rapporter celle de soins prodigués conformément aux données acquises de la science et appropriés à la situation.

Ce n’est pas la première fois que la Cour de Cassation reconnait ce renversement de la charge de la preuve au détriment de l’établissement de santé (Civ 1, 13 décembre 2012, 11-27347 pour absence de production des enregistrements de monitoring au cours d’un accouchement ; Civ 1, 9 avril 2014, 13-14964 dans le cas d’un dossier médical non renseigné par le praticien sur les deux premiers jours de vie d’un nouveau-né.)

En l’espèce, la polyclinique n’ayant pas été en mesure de rapporter une telle preuve, la Cour de cassation a considéré que « la faute imputable à cet établissement fait perdre au patient la chance de prouver que la faute du praticien est à l’origine de l’entier dommage corporel subi. »

La responsabilité de l’établissement

La polyclinique, en empêchant la victime de pouvoir apporter la preuve d’une faute du gynécologue obstétricien notamment sur la base du dossier médical, ne permet pas à la victime d’engager la responsabilité du praticien.

La Cour de cassation analyse la faute de l’établissement de santé comme une perte de chance, souverainement évalué par les juges du fond et qui dépend de la probabilité, compte tenu des autres éléments du dossier, qu’aurait eu la victime d’établir la faute du médecin obstétricien.
« (…) que, compte tenu des conditions d’exercice du praticien dont les actes étaient critiqués, elle a justement énoncé que la faute imputable à la polyclinique avait fait perdre à l’intéressée la chance d’obtenir la réparation de son dommage corporel qu’elle a souverainement évaluée à hauteur de 75% des préjudices en résultant. »

Dans cette arrêt, la Cour de cassation, suivant ainsi la jurisprudence du Conseil d’Etat, (CE 25 juill. 2013, ONIAM, req. no 357703) considère que le juge n’est pas lié par l’avis de la commission relative à la responsabilité de l’établissement de santé, ni par le contenu de la transaction, à savoir l’offre d’indemnisation de l’ONIAM se substituant à l’assureur. Dès lors nonobstant l’indemnisation par l’ONIAM de l’intégralité des préjudices subis, les juges du fond ont pu considérer que l’établissement de santé n’était tenu d’indemniser la victime qu’à hauteur de 75% des préjudices subis.

Cynthia PERRET

Carole YOUNES

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