CYBERHAINE : vers un renforcement de la responsabilité des Hébergeurs de sites internet: Je twit, tu twits, nous twittons

Si les hébergeurs de sites internet comme twitter dont le référencement au moyen des mots clés ou hashtags permet une large diffusion ne sont pas tenus à une obligation générale de contrôle des contenus mis en ligne[1], ils doivent respecter un certain nombre d’obligations pour lutter contre la cyber-haine, comme le prévoit l’article 6-I-7 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) à savoir :

  • Mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ces types de données ;
  • Informer les autorités publiques compétentes de toute activité illicite lui étant signalée et contrevenant aux 5ème, 7ème et 8ème  alinéas de l’article 24 et à l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et aux articles 222-33,222-33-2-3,225-4-1,225-4-13,225-5,225-6,227-23 et 227-24 et 421-2-5 du code pénal (répression de l’apologie, de la négation ou de la banalisation des crimes contre l’humanité, de la provocation à la commission d’actes de terrorisme et de leur apologie, de l’incitation à la haine raciale, à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur handicap ainsi que de la pornographie enfantine, de l’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences sexuelles et sexistes, des atteintes à la dignité humaine ;
  • Rendre publics les moyens consacrés à la lutte contre ces activités illicites.

C’est ce que confirment les magistrats de la Cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 20 janvier 2022, (CA Paris, 20 janvier 2022, n° 21/14.325).

En l’espèce, des associations de lutte contre l’antisémitisme, le racisme et la xénophobie reprochaient à Twitter de ne pas procéder à la suppression systématique et rapide des propos haineux qui sont publiés et signalés sur la plateforme. En effet, grâce à plusieurs enquêtes et constats d’huissier réalisés en 2019 et 2020 qui attestent que seulement 9 à 28% des messages signalés étaient supprimés dans les 48 heures par ladite plateforme, ces associations ont exercé une demande de communication de documents en référé sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Le tribunal judiciaire de Paris, par une ordonnance du 6 juillet 2021 a enjoint la plateforme en ligne de communiquer aux associations l’ensemble des documents et moyens mis en œuvre pour lutter contre la diffusion des infractions d’apologie de crimes contre l’humanité, d’incitation à la haine raciale, à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle, et de toute atteinte à la dignité humaine.

La plateforme en ligne de réseau social a interjeté appel de cette décision dont elle contestait la légalité des mesures ordonnées au regard d’une part, des conditions de mise en œuvre du référé probatoire prévu à l’article 145 du CPC, et d’autre part sur les fondements des droits fondamentaux de la liberté d’expression, et du droit de ne pas s’auto-incriminer.

La cour d’appel par une appréciation des conditions d’application de l’article 145 du CPC a confirmé l’ordonnance rendue considérant qu’il  autorise toute personne justifiant d’un motif légitime à saisir le juge pour faire ordonner les mesures d’instruction nécessaires à l’établissement de preuves, en justifiant d’éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrant que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec.

Dans le cas d’espèce, les pièces produites par les associations (enquêtes – procès-verbaux de constat d’huissier – articles de presse – attestations ) constituent, selon la cour d’appel, des éléments factuels qui rendent crédibles et plausibles la circonstance que la plateforme en ligne ne respecte pas les obligations prévues à l’article 6.-I. 7 de la LCEN et notamment l’obligation d’information des autorités sur les contenus haineux. C’est pourquoi, elle juge que les mesures sollicitées, qui seraient de nature à améliorer la situation probatoire des associations dans le cadre d’une éventuelle action en justice contre la plateforme en ligne, sont utiles, proportionnées et nécessaires.

Quant à l’argument tiré sur la contrariété des mesures ordonnées par rapport au droit fondamental de ne pas s’auto-incriminer, les magistrats d’appel le rejettent en précisant que le référé probatoire des associations a vocation à exercer une action en responsabilité civile sur le fondement de l’article 1240 du code civil ; d’où la mise en échec de l’application du droit de ne pas s’auto-incriminer qui relève de la matière pénale.

Cet arrêt qui n’est pas sans rappeler l’ordonnance prononcée par le « juge de l’évidence » du tribunal judiciaire de Paris le 24 janvier 2013[2], sonne comme un rappel des plateformes en ligne de leur obligation de concourir à la lutte contre la haine sur internet conformément aux dispositions de l’article 6-I-7 de la LCEN :

En 2013 les nombreux tweets à caractère antisémite, homophobe ou raciste avaient conduit les mêmes associations à poursuivre la société américaine Twitter pour obtenir la communication des données permettant l’identification des auteurs des tweets, et également à contraindre la société Twitter Inc. à mettre en place dans le cadre de la plateforme française du service Twitter Inc. un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à sa connaissance des contenus illicites, tombant notamment sous le coup de l’apologie des crimes contre l’humanité et de l’incitation à la haine raciale. (Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 24 janvier 2013, UEJF et autres / Twitter Inc. et Twitter France).

Cette fois, l’action des associations vise à obtenir des mesures d’instruction in futurum afin d’établir la responsabilité de l’hébergeur dans le non-respect de ses obligations de signalement et de suppression des contenus haineux.

Alors qu’internet est parfois considéré comme une zone de non-droit, face obscure et inavouable de nos sociétés policées, cette responsabilisation des plateformes en ligne dans la lutte contre la cyber-haine apparaît être un mal nécessaire pour juguler les expressions de haine sous toutes ses formes qui déferlent sur la toile et ainsi permettre de ne pas dévoyer le droit fondamental et précieux à la liberté d’expression.

Toutefois, la recherche de l’équilibre est toujours délicat et la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, imposant notamment à certains opérateurs de plateforme en ligne, sous peine de sanction pénale, de retirer ou de rendre inaccessibles dans un délai de vingt-quatre heures des contenus illicites en raison de leur caractère haineux ou sexuel a été censurée par le Conseil Constitutionnel.

Ce dernier a considéré que, compte tenu des difficultés d’appréciation du caractère manifestement illicite des contenus signalés dans le délai imparti, de la peine encourue dès le premier manquement et de l’absence de cause spécifique d’exonération de responsabilité, les dispositions contestées ne pouvaient qu’inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites portant ainsi une atteinte à l’exercice de la
liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée
et proportionnée. Décision du Conseil Constitutionnel n° 2020-801 DC du 18 juin 2020).

L’approbation par le Parlement Européen du projet de législation sur la Digital Services Act constitue une nouvelle avancée dans la lutte et la répression de la haine sur internet. Ce règlement vise à supplanter la directive européenne sur le e-commerce, adoptée en 2000 pour réguler les services en ligne, et aujourd’hui insuffisante au regard du développement des réseaux sociaux. Le DSA contraint les plateformes à supprimer les contenus qui enfreignent les réglementations nationales et européennes, après signalement par une autorité judiciaire ou administrative telle que la Cnil. Il est également demandé aux plateformes de suspendre les utilisateurs enfreignant régulièrement la loi. Google, Facebook et autres Twitter devront publier des rapports réguliers et clairs sur la modération de leurs contenus.

Après le rachat de Twitter par le milliardaire Elon Musk, chantre d’une liberté d’expression sans limite, les législations européennes seront un rempart d’autant plus nécessaire qu’elles seront efficaces et proportionnées.

 

 

 

Carole YOUNES

Avocate

Docteur en droit

 

Michael SANKARA

Elève-Avocat

Docteur en droit

 

 

 

[1] Article 6-I-7 de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) : « les personnes mentionnées aux 1 et 2 (fournisseurs d’accès et hébergeurs) ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu’elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites; … »

[2] TGI Paris, ord. réf., 24 janvier 2013, UEJF et a. c/ Twitter Inc. Et Twitter France, RLDI 2013/90, n°3003.

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